Evolution des offres de synchronisation de documents dans le cloud ou pas
(Cet article a été publié dans la revue des Centraliens du mois d’octobre)
L’impact croissant d’Internet sur la société d’aujourd’hui est dû à la convergence de plusieurs phénomènes, pour la plupart indépendants : Bien entendu il y a la bien connue Loi de Moore et l’évolution exponentielle de plusieurs technologies associées comme le stockage, et les transmissions. L’apparition des réseaux Internet et Mobiles il y a plus de 40 ans, sur des bases complètement différentes, puis leur convergence avec le Smartphone. L’évolution de l’Internet depuis 1989 et le WWW qui lui a permis de se démocratiser. Les différentes initiatives de numérisation des média : CD, DVD, MP3, MPEG, TNT, eBOOK ; qui permettent aujourd’hui une convergence numérique presque totale. Les réseaux sociaux qui ont montré le désir des populations entières d’apporter leur contribution gratuitement au savoir mondial. Enfin la rencontre de tous ces phénomènes qui a provoqué un réel tsunami de l’information.
Les mots et les chiffres manquent pour le décrire : le volume d’information créé en 2011 était de 1,8 Zettabytes (1,8 10^21 d’après l’étude IDC – Digital Universe). La prévision est de 40 Zettabytes pour 2020. Dans une étude publiée dans Science en 2011, M. Hilbert et P. Lopez estiment l’évolution des capacités mondiales de traitement, stockage et transport de 1986 à 2007 et confirment les chiffres d’IDC. Le volume stocké par personne passe ainsi de 500 MB en 1986 à 45 GB en 2007, dont 94% sont déjà au format numérique. Une extrapolation sur la même courbe nous amène à 150 GB par personne en 2012.
Dans le même temps les coûts du stockage ont diminué pour atteindre en 2012 moins d’1$/GB pour les SSD et 0,05$/GB pour les disques magnétiques (source Pindgom.com).
La gestion de ce patrimoine d’information numérique est devenue un enjeu pour chacun d’entre nous, un nouveau marché pour les acteurs du Cloud et un terrain de jeu pour l’innovation. Depuis l’adoption de l’ordinateur personnel dans les années 80, au marché de masse de 2012 de plus d’un milliard d’unités vendues, dominé à plus de 60% par les Smartphones (selon IDC) la constitution du patrimoine numérique a eu lieu sans réelle prise de conscience.
De nombreux documents ou media se sont pourtant numérisés : photos, musique ou vidéos, factures, relevés, toutes traces d’achat par Internet ou même par Carte Bancaire, livres, articles et bien entendu toute création personnelle qui passe par les outils bureautiques. Qui se pose réellement dans l’instant toutes les questions sur la survie de ce patrimoine pendant au moins une génération, voire plusieurs ! En s’appuyant sur des technologies dont la durée de vie dépasse rarement 5 à 10 ans, sur des media à la qualité inconnue et sur des formats de fichiers dont les plus anciens ont déjà disparu.
La prise en charge de ce patrimoine par des acteurs sérieux, avec des services en ligne de type SaaS, semble arriver à point nommé pour résoudre ce casse-tête : centraliser les traitements pour plus d’efficacité et proposer à un public très large une gamme de services digne d’un Système d’Information à un prix abordable. Après tout, c’est le modèle adopté pour les premières fonctions comme la messagerie et qui ont changé les usages pour toute une génération.
L’offre de services ne se fait pas attendre, elle est presque exclusivement le fruit de nouvelles start-ups qui pressentent un nouveau marché et qui explorent plusieurs directions. Dès 2005, des acteurs comme Mozy ou BOX lancent les premières offres de gestion de fichiers en ligne. Mais le marché décolle vraiment avec l’arrivée de Dropbox en 2007 qui propose un outil simple de gestion de fichiers et de synchronisation presque sans configuration à partir de toutes plates-formes disponibles (PC, MAC, iOS, Android, …). Il compte aujourd’hui plus de 170 millions d’utilisateurs qui partagent ainsi de façon presque transparente leurs données entre tous leurs terminaux fixes et mobiles. La gestion des données financière démarre aussi très vite aux Etats Unis avec le lancement de Mint en 2006. L’extension vers l’ensemble des documents (factures, relevés) fait son apparition plus tard, avec Doxo aux Etats Unis en 2008, Securibox en France en 2007, puis Greenbureau, Adminium, …
MoneyDoc, acteur français créé en 2011, a lui, choisi d’associer gestion des finances personnelles (comme Mint) et gestion des documents (comme eFactures). MoneyDoc espère bien changer le paysage avec une offre très complète (environ 800 connecteurs disponibles pour consolider automatiquement l’information bancaire et documentaire), une architecture Cloud maîtrisée avec ses propres technologies (permettant notamment une maintenance industrielle des connecteurs bancaires et documentaires) et un pari sur les nouveaux usages mobiles (tablettes, Smartphones) dont les nouvelles idées ne manquent pas : nouvelles versions des applications mobiles avec des interfaces améliorées, possibilités d’échanges automatiques de fichiers avec Dropbox et Sugarsync… Comme on peut le voir, c’est un marché encore jeune, qui cherche ses marques, avec de nombreux acteurs de niche. Depuis l’époque héroïque de 2005, les premières start-ups ont été rejointes par des acteurs confirmés comme Apple, Google, IBM ou Microsoft. D’autres ont fait des acquisitions (EMC avec Mozy et Syncplicity, Citrix avec Sharefile). Et les annonces ne sont pas finies. Ce qui confirme bien la croissance du marché.
Le Cloud et la sécurité
Ces offres cependant, vues des utilisateurs, posent encore de nombreuses questions : La première est liée à la nature patrimoniale de certains documents et donc à leur sécurité. Au même titre que pour certaines entreprises, confier ses données à un tiers, quelque part sur Internet, n’est pas un réflexe naturel, ni dénué de risques.
La question de la sécurité peut ouvrir un vrai débat de société. Pour les générations les plus jeunes, l’utilisation systématique de services en ligne a toujours fait partie de leur quotidien, comme celle du téléphone mobile. Ils ne peuvent intégrer la question de la sécurité des données qu’après une « catastrophe », petite (perte du téléphone avec tous les numéros des amis) ou grande (piratage d’un site de e-commerce avec cartes bancaire). Pour les plus anciens, une pondération peut être faite entre les risques des données confiées à un acteur on-line et ceux des données conservées à la maison.
Lors de l’utilisation de services de synchronisation de documents « Cloud », la sécurité est renforcée en termes de conservation, puisqu’il y a au moins une copie locale et une distante.
La question délicate reste la confidentialité. La criticité est moyenne pour la gestion de fichiers (comme Dropbox) et devient plus importante pour les documents bancaires (comme MoneyDoc). Le plus critique, ce sont les données d’identification comme les numéros de compte et les mots de passe. A ce sujet, MoneyDoc par exemple utilise un chiffrement par clé publique, sans jamais donner la possibilité de déchiffrer avec la clé privé sur ses systèmes, ce qui limite les risques de piratage.
Bien entendu, rien n’empêche les utilisateurs eux même de chiffrer certains documents confidentiels avec leurs propres outils s’ils ne font pas confiance à leurs fournisseurs !
Le Cloud et la pérennité
Une autre question qui peut préoccuper les utilisateurs est la pérennité des acteurs et des solutions proposées. Internet est une opportunité qui a permis à certaines sociétés d’occuper les premières places sur la scène internationale (Google, Facebook), mais il ne faut pas oublier tous les services qui ont fermé leurs portes abandonnant leurs utilisateurs. L’exemple de Google Reader qui a été interrompu cette année est encore présent dans les esprits et montre qu’il n’y a pas de garantie absolue de service, même avec un acteur pérenne.
En France, c’est une initiative publique qui est à l’origine du service CDC Arkhinéo, l’archivage à valeur probante utilisé par la plupart des acteurs pour le stockage des documents officiels, tels les feuilles de paye.
Lorsqu’on envisage de centraliser ses documents les plus importants, avec des fonctions à valeur ajoutée pour leur gestion, il faut s’engager avec confiance dans la société partenaire. Sur ce point il n’y a pas de miracle. Comme toujours, c’est sur la base des premiers utilisateurs « fonceurs » qu’une start-up peut grandir et devenir une référence.
La plupart des services passés en revue ici proposent une réversibilité assez facile. Elle est naturelle pour la synchronisation de fichiers. Les fonctions sont disponibles pour les gestionnaires de documents et les tailles de données sont raisonnables. Ce n’est donc pas un obstacle pour adopter les premières offres et essayer.
Cependant, une nouvelle vague d’offres fait son apparition, de type « peer to peer » et éventuellement proposant du matériel. Le dernier en date est BitTorrent Sync et non, il ne s’agit pas d’une offre illégale ! C’est un concurrent de Dropbox, mais les sauvegardes se font entre personnes « amies » qui souhaitent partager leur espace disque. Cette année sur Kickstarter, deux projets ont été lancés sur des principes similaires, avec vente de matériel : Space Monkey, avec un disque dur dédié, Lima, avec un petit boitier permettant de connecter des disques durs. Le projet Lima est l’œuvre d’une start-up française, qui avait déjà lancé le projet ForgetBox. Le principe consiste à transformer sa maison, avec tout son espace disque en « Cloud Privé ».
Cette tendance répond au public qui ne souhaite pas tout confier au Cloud pour différentes raisons.
Il est probable qu’à moyen terme des offres « hybrides » devraient faire leur apparition, intégrant des possibilités locales, « peer to peer » et Cloud, configurables par l’utilisateur et répondant ainsi aux attentes de chacun.
Pour le grand public, il y aussi un grand enjeu de simplicité pour permettre l’accès à ces solutions. Les acteurs innovants ont encore de beaux défis à relever sur ce plan, tant le nombre de paramètres techniques à intégrer est important : volumes, performances, sécurité, confidentialité. Le sujet devrait cependant poursuivre son chemin, poussé par les besoins.